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Irrecevabilité de l’action en justice du RSI : la saga des « mutuelles » non immatriculées continue
Le 18 décembre 2014
C’est dans l’affirmative qu’a statué la Cour d’appel de Limoges dans un retentissant arrêt rendu par la Chambre sociale, le 20 octobre 2014 (n°13/00341).
Brûlante question s’il en est, car si le RSI est une mutuelle, il se retrouve, par le jeu du droit communautaire, soumis à une obligation de mise en concurrence… Autrement dit, le RSI ne pourrait pas imposer à un indépendant de cotiser à son régime puisque son monopole serait aboli et qu’il serait ainsi possible pour un indépendant d’adhérer à une mutuelle privée étrangère par exemple, ou de ne pas adhérer.
Cernant les enjeux de la question posée, la Cour de cassation avait déjà voulu clore ce débat en 2007, dans un arrêt du 23 mai 2007 de la deuxième chambre civile, en formation restreinte, pour autant non publié (pourvoi n°06-13.466).
Panorama de jurisprudence sur le statut juridique du Régime Social des Indépendants et sa soumission au Code de la mutualité
Irrecevabilité de l’action en justice du RSI : la saga des « mutuelles » non immatriculées continue
Le 11 décembre 2014, le Tribunal de Grande Instance de Nice a ramené à l’ordre du jour l’épineuse question de la conformité du statut du RSI avec les dispositions du Code de la mutualité (Ordonnance de référé du 11 décembre 2014, n°14/1711).
A l’origine de cette décision, la contestation par l’association « Mouvement pour la liberté de la protection sociale » (MLPS) d’une Ordonnance sur requête autorisant la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants à faire procéder à l’enregistrement des débats de la réunion d’information de l’association susmentionnée, par huissier.
Selon la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants, cette demande était justifiée par la volonté de faire face à « un mouvement contestataire tendant à inciter les membres des professions indépendantes à se désaffilier des régimes obligatoires de sécurité sociale, notamment du RSI ».
Au moins, les intentions étaient claires.
Outre la question du caractère attentatoire aux libertés fondamentales de l’enregistrement par un huissier de la réunion d’une association dans un lieu privé (notamment la liberté de réunion, le droit au respect de la vie privée et la liberté d’expression), a été soulevée par l’Association MLPS la question de l’irrecevabilité de l’action de la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants qui n’aurait pas qualité à agir, faute pour elle de justifier de son inscription au Conseil supérieur de la mutualité conformément aux dispositions de l’article L 411-1 du Code de la mutualité.
Et c’est bien ce dernier argument qui a fait mouche et a motivé le Tribunal de Grande Instance de Nice dans sa rétractation de l’Ordonnance autorisant l’enregistrement des débats par huissier :
« Si la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants verse bien aux débats la justification de son inscription au répertoire SIRENE et une copie de son règlement intérieur, il est cependant nécessaire, afin de vérifier qu’elle possède la qualité pour agir, et conformément à un arrêt de la cour d’appel de Limoges du 10 octobre 2014, qu’elle justifie de son immatriculation au registre prévu par l’article L 411-1 du code de la mutualité.
En l’absence d’une telle justification, la qualité pour agir de la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants ne pouvant être vérifiée, il convient de rétracter dans son intégralité l’ordonnance sur requête du Tribunal de Grande Instance de NICE du 17 juin 2014… »
C’est dire si cette reprise des exigences de la Jurisprudence de la Cour d’appel de Limoges du 20 octobre 2014 est lourde de conséquences pour le RSI, puisque le Tribunal de Grande Instance de Nice en tire les conséquences de manière non équivoque : le défaut de qualité à agir en justice.
- Le RSI est-il soumis aux dispositions du code de la mutualité et notamment à l’obligation d’immatriculation prévue à l’article L 411-1 du code de la mutualité ?
C’est dans l’affirmative qu’a statué la Cour d’appel de Limoges dans un retentissant arrêt rendu par la Chambre sociale, le 20 octobre 2014 (n°13/00341).
En l’espèce, il était question d’une opposition à contrainte délivrée à l’initiative du RSI pour imposer le versement de cotisations à un indépendant.
La Cour d’appel de Limoges avait ainsi ordonné au RSI de justifier de son immatriculation au registre prévu à l’article L 411-1 du Code de la mutualité pour être en mesure de procéder à « la vérification de [sa] qualité à agir ».
Mais le RSI est-il tenu d’accomplir ces formalités ?
Pour examiner cette question il convient de remonter dans les dispositions européennes, à l’origine de ce remue-ménage dans le système de sécurité sociale français.
Les textes en cause sont en premier lieu les directives européennes n°92/49/CEE et 92/96/CEE sur l’assurance modifiant les directives n°79/267/CEE et 73/239/CEE, qui ont instauré un marché unique européen de l’assurance privée.
Dans l’ombre, c’est également la directive 2004/18/CEE qui s’applique aux mêmes organismes et qui est relative à la « coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services » et qui régit donc les rapports entre l’Etat ou « le pouvoir adjudicateur », et ces « mutualités », avec notamment, des obligations de mise en concurrence.
Les directives n°92/49/CEE et 92/96/CEE ont été transposées en France par l’Ordonnance du 2 mai 2001 et l’Ordonnance du 19 avril 2001, cette dernière ayant modifié l’article L 411-1 du Code de la mutualité qui prévoyait depuis lors l’existence d’un « registre national des mutuelles, unions et fédérations ».
Cette immatriculation au registre national des mutuelles a été obligatoire jusqu’à l’Ordonnance du 21 janvier 2010, qui bien que supprimant ce registre dans sa forme « actuelle » n’en conserve pas moins l’obligation d’immatriculation pour une mutuelle, assurée « par le secrétaire général du Conseil supérieur de la mutualité » (décret n°2011-1192 du 26 septembre 2011).
Ainsi, pour qu’un organisme puisse acquérir la personnalité morale d’une mutuelle au sens de l’article L 111-1 du Code de la mutualité, il est nécessaire qu’il accomplisse des formalités d’immatriculation.
- Le RSI est-il une mutuelle au sens du Code de la mutualité (et donc dans la logique des directives 92/49/CEE et 92/96/CEE) ?
Brûlante question s’il en est, car si le RSI est une mutuelle, il se retrouve, par le jeu du droit communautaire, soumis à une obligation de mise en concurrence… Autrement dit, le RSI ne pourrait pas imposer à un indépendant de cotiser à son régime puisque son monopole serait aboli et qu’il serait ainsi possible pour un indépendant d’adhérer à une mutuelle privée étrangère par exemple, ou de ne pas adhérer.
« Non » nous dit la Cour d’appel de Bordeaux dans une décision du 14 mars 2013 (n°11/044258), selon laquelle le RSI comprend une Caisse Nationale (Caisse Nationale du RSI) et des Caisses de base (article L 611-3 du Code de la sécurité sociale) appartenant à l’organisation de la Sécurité Sociale en vertu des articles L 111-1, R 111-1, L 621-1 à L 621-3 du Code de la sécurité sociale.
La Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, dans une décision de sa chambre sociale du 22 septembre 2009 (n°09/00686) était déjà allée dans le même sens :
« Attendu que les directives 92/49/CEE sur les assurances vie et 92/96/CEE sur les assurances non-vie, qui ont institué un marché unique de l’assurance privée, ne sont pas applicables aux régimes de Sécurité Sociale, que les Etats conservent toute latitude pour aménager ; qu’aucune n’a abrogé, comme il est soutenu, le monopole des organismes de Sécurité Sociale en France ».
Le RSI est donc, pour ces magistrats, un organisme régi par les dispositions du Code de la sécurité sociale et non du Code de la mutualité. En tant qu’organisme de Sécurité Sociale, le RSI est exclu du champ d’application des directives européennes, et détient un monopole qui lui permet d’exiger des cotisations des indépendants.
En outre, il en découle fort logiquement dans ces décisions, que le RSI n’a pas à satisfaire aux dispositions de l’article L 411-1 du Code de la mutualité, et n’a ainsi pas à justifier d’une quelconque immatriculation pour détenir la qualité d’agir en Justice.
Il n’est tout simplement pas une mutuelle.
Les limites à ce raisonnement, qui vise comme on l’a bien compris à préserver le monopole de la sécurité sociale, spécificité française, face au paradigme de marché européen, se trouvent sans doute dans le texte même de la directive 2004/18/CE, annexe III, qui n’a pas manqué de prévoir, pour chaque Etat signataire, les organismes exclus de son champ d’application (ceux qui ne sont pas soumis à la mise en concurrence).
On retrouve notamment parmi eux, concernant la France :
- la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF),
- la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS)
- ou encore, la Caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS).
Et évidemment, nulle trace de la Caisse Nationale du Régime Social des Indépendants.
On comprend mieux ainsi que la Cour d’appel de Limoges, suivie par le Tribunal de Grande Instance de Nice ce 11 décembre 2014, n’ait pas suivi ces juridictions et considère que rien ne laisse à penser que le RSI n’est pas une mutuelle au sens de l’article L 111-1 du Code de la mutualité, se trouvant de fait soumis à des formalités d’immatriculation qui seules lui confèrent la qualité pour agir en justice.
En revanche, la conséquence de ces constatations, dont la Cour d’appel de Limoges n’est pas directement saisie, ni le Tribunal de Grande Instance de Nice, est que le RSI se trouverait soumis à une mise en concurrence avec d’autres mutuelles ou assurances privées dans l’espace économique européen, ce qui entamerait très nettement son activité.
On peut ainsi se demander si la Cour d’appel de Limoges, comme le Tribunal de Grande Instance de Nice, qui ont pris des décisions eu égard aux faits de l’espèce sur lesquels ils avaient à statuer, ont mesuré toutes les conséquences de l’ouverture de cette boîte de Pandore pour le RSI.
- Que dit la Cour de cassation ?
Cernant les enjeux de la question posée, la Cour de cassation avait déjà voulu clore ce débat en 2007, dans un arrêt du 23 mai 2007 de la deuxième chambre civile, en formation restreinte, pour autant non publié (pourvoi n°06-13.466).
En l’espèce, un indépendant avait adhéré à un organisme de protection sociale situé dans un autre pays de la Communauté européenne tout en conservant son activité en France.
La Cour de cassation a défendu dans cet arrêt le modèle social (national) face au modèle économique (communautaire) en ces termes :
« Mais attendu qu’après avoir justement énoncé que le régime de sécurité sociale des travailleurs non salariés des professions non agricoles constituait un régime légal obligatoire de sécurité sociale fondé sur un principe de solidarité et fonctionnant sur la répartition et non la capitalisation, les juges du fond qui ont retenu que, quelle que soit leur forme juridique, les caisses en assurant la gestion ne constituaient pas des entreprises au sens du traité instituant la Communauté européenne, en ont exactement déduit que l’activité de ces organismes n’entraient pas dans le champ d’application des directives concernant la concurrence en matière d’assurance. »
Cet arrêt avait ainsi posé les prémices d’une exclusion du RSI du champ des directives 92/49/CEE et 92/96/CEE et avait préservé le paradigme sous-tendant le système de sécurité sociale français de celui, économique et concurrentiel, de la Communauté européenne.
Cette jurisprudence a été confirmée et affinée en 2011 dans un arrêt de la Première Chambre Civile, cette fois-ci publié au Bulletin (Cass. 1ère Civ., 4 mai 2011, pourvoi n°10-11.951, JurisData 2011-007718) :
« Attendu qu’ayant relevé que le RSI concourait à la gestion du service public de la sécurité sociale fondée sur le principe de solidarité nationale et dépourvue de tout but lucratif et que la contrainte objet du litige concernait les cotisations du régime légal et obligatoire de sécurité sociale, la cour d’appel en a exactement déduit que, dans l’exercice de cette seule fonction à caractère social, le RSI n’était pas une entreprise au sens des articles 81 et 82 CE et que cette activité ne pouvait être considérée comme économique au sens du droit communautaire ni violer les règles du droit des abus de position dominante ».
Aussi le RSI est-il pour la Cour de cassation un organisme qui « concourt à la gestion du service public » et ce, de manière « dépourvue de tout but lucratif », ce qui est de nature à l’exclure, pour ses activités découlant d’un régime légal et obligatoire, non seulement des directives mentionnées mais également, il semblerait, du champ du droit communautaire !
Cependant, la Cour de cassation peut-elle déduire de ces critères que le RSI est de fait exclu des directives relatives à l’instauration d’un marché des assurances, et donc du Code de la mutualité ?
Il est permis d’en douter, notamment en rappelant que l’article L 111-1 du Code de la mutualité dispose : « Les mutuelles sont des personnes morales de droit privé à but non lucratif ».
Ces mutuelles à but non lucratif sont donc bien régies par le Code de la mutualité, et si elles concourent à la gestion d’un service public, c’est sans doute dans le cadre de conclusions de marchés publics soumis aux règles de mise en concurrence de la directive de 2004…
La question de la « nature » des missions du RSI et de son monopole est donc loin d’être si fermement tranchée en droit, et la rébellion des Juges du fond est significative sur ce point.
Voici une question politique qu’il va être intéressant de suivre dans la Jurisprudence future, notamment en cas de question préjudicielle à la CJUE.
C. LARRAZET-CASAROLI
A. GUILBERT
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